Communiqué du Réseau Féministe « Ruptures »
Attribution d’un prix littéraire à « La Maison » d’Emma Backer, roman idéalisant le monde prostitutionnel
REFH s’associe à ce Communiqué de presse et pointe le manque de discernement des personnes qui l’ont sélectionné (c’est un documentaire plus qu’un roman) et regrette la présentation de la prostitution idéalisée et bien loin de la réalité.
Avec « La Maison », l’écrivaine de 31 ans, Emma Becker, vient de remporter le prix Roman des étudiants France Culture-Télérama. Un livre qui trouve sa source au cœur des Eros Centers berlinoises et dans lequel l’esthétisme semble l’emporter sur la réalité de la prostitution.
Le livre intitulé « La Maison », de la romancière Emma Becker, est présenté comme un roman, un récit littéraire, un compte-rendu de l’enquête sociologique et individuelle d’une jeune femme qui prétend ainsi témoigner d’une expérience personnelle. Elle y expose divers sentiments où la transgression demeure le principal moteur. C’est sur cette approche que l’ouvrage a suscité les faveurs du public dans un contexte contemporain post #MeToo.
Dans ce roman, la romancière adopte une posture de journaliste « en immersion » sur le terrain. Emma/Justine a en effet choisi de vivre l’existence d’une prostituée pendant deux ans, dans un cadre reconnu par la loi allemande. Selon Télérama, « Il ne s’agissait pas pour elle de faire un reportage, ni de mettre en scène la prostitution, mais de construire une enquête littéraire, sans schéma préétablit. »
Sans renoncer à reconnaître la liberté des auteur.e.s d’aborder des sujets érotiques comme Pauline Réage l’a fait en son temps dans son roman « Histoire d’O» (1954), nous pouvons nous interroger sur la portée symbolique de la promotion de ce livre, à travers le « prix Roman des étudiants » sponsorisé par deux médias culturels de premier plan, à savoir France Culture et Télérama. Il nous paraît crucial de questionner où se situe le frontière entre la publicité faite par ces médias et leurs pairs à ce roman plaçant les fantasmes érotiques d’une jeune femme intellectuelle en recherche d’émotions sensationnelles et la promotion d’un système d’exploitation du corps des femmes.
C’est en réalité la part faite au beau, au féérique, au scintillant, au plaisir de briser l’interdit moral, à l’apparente liberté de choisir son rapport au sexe qui dérange ici. Cette vision idéalisée de la prostitution est scandaleuse lorsque l’on connaît la misère sociale et intellectuelle dans laquelle évolue la très grande majorité des personnes victimes du système prostitutionnel. C’est cet aspect esthétisant, teinté de romantisme, du roman d’Emma Becker que nous dénonçons aujourd’hui. Nous peinons à croire que cette description, présentée comme le fruit d’une enquête sociologique, incarne fidèlement la réalité des Eros Centers allemands.
Si Emma Becker prétend être entrée de son plein gré dans le monde prostitutionnel sans porter de jugement, cela est insuffisant. Il est essentiel de rappeler que ne pas se soumettre, c’est aussi la volonté de toutes celles qui sont harcelées, battues, enfermées, isolées et contraintes par toutes les formes de dominations mises en place par un système qui les rend esclaves de ceux qui en tirent profit de multiples façons.
C’est pourquoi, nous tenons à pointer du doigt le manque de discernement des critiques qui lui ont été faites, ceci particulièrement à la suite du prix qui lui a été attribué il y a quelques jours. Nous regrettons que personne ne profite de cet éclairage médiatique pour dénoncer ce qu’est la réalité du système prostitutionnel, un système où des femmes sont vendues, trafiquées, violées au quotidien et qui ne peut se réduire à un monde fantasmé de paillettes et de glamour.
Si nous respectons la liberté d’expression des romanciers et des romancières, il est important de continuer à dénoncer l’impact de ces imaginaires et de ces stéréotypes qui sont révélateurs de la domination de la société patriarcale.
Paris, le 18 décembre 2019.