COLLOQUE : « MANUELS SCOLAIRES, GENRE ET EGALITE »
Le Centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes, a organisé, en partenariat avec la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes du Sénat et le ministère des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, le 2 juillet 2014, au Palais du Luxembourg, le colloque « Manuels scolaires, genre et égalité ».
ANALYSE DE L’ENQUÊTE DE REFH
SUR LES MANUELS SCOLAIRES ET LES STÉRÉOTYPES
Intervention d’Huguette Klein, vice-présidente de
l’association « Réussir l’égalité femmes-hommes »
Alors que la majorité des interventions portaient sur le contenu (plus ou moins sexiste) des manuels scolaires, REFH a voulu s’interroger sur la questions de l’usage et de la pratique des manuels scolaires, par les enseignant-e-s, ainsi que sur la question de la perception, par ces mêmes enseignant-e-s, de l’existence de stéréotypes sexistes dans les manuels qu’ils-elles utilisent.
Pour répondre à ces interrogations, nous avons lancé un questionnaire auprès d’enseignant-e-s connu-e-s de REFH, en leur demandant de relayer un maximum auprès de leurs collègues. Les 41 réponses reçues (sur plus de 300 questionnaires en circulation), ne constituent pas un échantillon scientifique représentatif du corps enseignant français [1] . Elles ont donc été traitées comme des témoignages [2] .
Usage des manuels scolaires
Sachant que les stéréotypes sexistes sont nombreux dans les manuels, on pense généralement que les manuels contribuent efficacement à la construction du genre à l’école. Mais, si les professeurs, à l’ère d’internet, utilisaient peu les manuels scolaires et si, pour des raisons pédagogiques qui leur seraient propres, ils se réfèraient surtout à leur cours, on pourrait aussi dire que cette pratique affaiblie du manuel relativise son influence.
Il n’en est absolument rien.
Dans notre population de témoins, 73 % des répondant-e-s utilisent le manuel très souvent et 78 % régulièrement, 17 % l’utilisent parfois, 10 % jamais. Quant aux élèves, ils et ellel’utilisent autant en classe qu’à la maison. Les manuels sont considérés comme des bases de données de documents, de textes, d’illustrations et d’exercices... Ils sont décrits comme des outils à utiliser en synergie avec le cours, les programmes, les résultats attendus, en fonction du niveau des élèves.
Souvent les enseignant-e-s doivent improviser. On est surpris de voir qu’au cours de leur formation pédagogique, la question de l’utilisation des manuels scolaires n’ait pas été abordée pour 58 % de nos témoins.
L’importance du manuel scolaire est attestée par les témoignages recueillis par cette enquête. Les membres de REFH qui se préoccupent des inégalités de sexe et des stéréotypes, sont donc légitimé-e-s à réfléchir à des manuels, passeurs de connaissances utilisés et respectés, qui non seulement n’auraient pas ces défauts, mais qui au contraire, permettraient de promouvoir l’égalité filles-garçons— femmes-hommes.
Les manuels et les stéréotypes sexistes
À la question êtes-vous sensibles à l’égalité de traitement entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, dans les manuels scolaires, 61 % de nos interviewé-e-s (25) répondent oui. C’est-à-dire une petite majorité. C’est très intéressant de constater que les pédagogues sont sensibles à ce problème. Parmi celles et ceux qui répondent non (8) on relève, dans leurs commentaires, plus d’indifférence que d’opposition. Les résultats précédents sont confirmés quand on questionne : abordez-vous la question de l’égalité filles-garçon avec vos élèves. De nouveau une petite majorité se dégage (58 %). Parmi ces réponses positives une grande variété de positions. Tous et toutes ne le font pas avec le même degré de conviction.
Le pourcentage des réponse positives augmentent quand on aborde la question du principe de l’égalité filles garçons puisque 71 % des répondant-e-s pensent qu’il est important de préparer à l’égalité filles-garçons dès l’école.
Cet ensemble de résultats est très encourageant car il montre un corps enseignant de bonne volonté, sensible et ouvert aux inégalités filles-garçons—femmes-hommes.
En revanche, les professeur-e-s n’ont pas une conscience critique des stéréotypes véhiculés par les manuels. 36 % seulement les reconnaissent ; 29 % sont formels et disent que les manuels n’en véhiculent pas. Souvent les réponses sont floues : « de moins en moins », « c’est possible », « des progrès ont été faits », « sans doute », « parfois », « parfois mais rarement »… On constate donc, de la part de nos interviewé-e-s, une difficulté certaine à identifier les stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires. Souvent leur gravité est minimisée ou relativisée, les répondant-e-s ayant en classe des situations d’inégalité ou d’excès d’agressivité nettement plus violents à gérer.
Il arrive aussi que, sans en avoir conscience, les enseignant-e-s, eux-elles-mêmes, véhiculent des stéréotypes sexués : « Paul joue au foot, et Marie fait de la danse, cette forme d'énoncé doit exister, mais je ne crois pas vraiment que ce type de présentation soit caricatural, tant qu'il n'y a pas de référence du type : Maman fait le ménage, et Papa ramène l'argent, rien d'alarmant ... Donc dans les manuels de maths, à priori je n'y vois pas de stéréotypes outrageux. C’est un professeur homme qui parle.
Dans la partie « commentaires libres » de notre questionnaire, des témoins s’expriment sur les stéréotypes et les manuels scolaires en disant que les manuels ne sont pas les seuls à véhiculer des clichés : ex. les conseils de classe… (NDLR : hélas).
Quand on leur demande si les manuels scolaires pourraient être un moyen pour sensibiliser les élèves à l’égalité filles-garçons, 73 % (30) répondent oui et 7 % non, mais beaucoup mettent en évidence que le livre n’est pas le seul moyen, ni peut-être le plus efficace pour cela : de leur point de vue la parole et le comportement des enseignant-e-s reste prioritaire ; cette position rejoint leur conception du manuel scolaire comme outil que les enseignant-e-s utilisent sans en être esclave.
En conclusion, on peut dire que nos interwievé-e-s témoignent d’une sensibilité avérée aux inégalités filles-garçons (surtout au niveau des principes qu’ils respectent avec force). En revanche, dans leurs pratiques pédagogiques des manuels, la conscience du stéréotype n’est pas évidente et l’idée que ces stéréotypes puissent être véhiculés par les ouvrages de classe reste assez largement contestée, voire ignorée. Ceci marque bien que même des personnes de bonne volonté et de bonne foi doivent encore franchir une étape pour passer du constat simple des inégalités à l’identification des stéréotypes sexués, beaucoup moins facile à désigner, beaucoup plus pernicieux, parce qu’appartenant au domaine abstrait des représentations mentales.
Cela devrait inciter les responsables politiques à mettre l’accélérateur sur la formation initiale et continue des enseignant-e-s, actuellement démuni-e-s d’outils d’analyse.
[1] 33 femmes, 7 hommes plus 1 personne qui n’a pas mentionné son sexe soit 17% d’hommes alors qu’ils représentent 42% dans le second degré public (INSEE 2013). Les réponses se répartissent également entre les moins de 40 ans et les plus de 40 ans. On observe une prédominance dans les répondant-e-s des enseignant-e-s issu-e-s des disciplines de sciences humaines : 66 % disciplines littéraires, langues, histoire, SES ; 32 % disciplines scientifiques ; 26 (63 %) en lycée, 11 (27 %) en collège, 3 sur les deux et 1 école élémentaire
[2] REFH est bien consciente que son enquête n’a pas la légitimité d’une « étude sociologique » qui aurait préalablement et scientifiquement construit un échantillon et des questions permettant de généraliser ses conclusions. Mais nous pensons néanmoins que les témoignages issus de cette enquête sont très significatifs et qu’il pourrait être utile de faire, ultérieurement, une étude plus poussée, dans les règles de l’art.