Texte d’Edith Payeux sur les Afghanes et les Iraniennes

 

Mes sœurs esseulées, mes sœurs esclavées,

Je vous entends d’ici crier vos silences voilés, enfermées sous la peur, mes sœurs de peur, empêchées de partout de parler de chanter d’exercer, toi ma sœur, étudier ne peux, empêché ton rêve de devenir, devenir, tu ne peux, avocate, médecin, professeure ne peux, tes rêves non plus, non vus, non sus, et toi, inachevée, de devenir n’as plus n’auras plus.

Rester tu dois, demeurer figée sur le vide, la maison désormais toujours, contrainte, tu dois, ni bouger ni courir ni jouer, toi ma sœur aux jambes ardentes comme moi, ton cerveau bouillant s’éteint de fatigue, tu tournes entre les pièces, contre les murs te heurtes, te blesses, tu tournes et tombes sur les murs, sourds les murs toujours, plus de murmures pour rien, plus rien à murmurer, mâcher, remâcher ta langue muette, avaler ta gorge sans voix, tes mots, les mêmes toujours s’effacent en toi-même disparue, tu mâches ensevelie enterrée, remâches ta mort impossible pourtant, au fond de toi tombée, tu as perdu l’allant, l’aller où, l’aller quoi, l’aller comment ? Encloses d’anxiolytiques, de somnifères d’oubli, tu pourrais, comme d’autres, surdoser, tu pourrais, en finir, en vrai, tu pourrais.

Je t’entends d’ici, d’ici je suis, dans la chance d’ici, de te pleurer je suis, je suis loin, si près, je suis toi, je suis dans ta prison, oui, je sais, je n’y suis pas, à entendre, dans ta geôle sans jour crier tes nuits sans aube, dans ta geôle, à entendre hurler les filles d’à côté, tes sœurs de misère, tes sœurs en souffrance, sous les coups et les clous qu’on enfonce de force, de la force elles ont encore, je n’y suis pas, je sais, dans la salle des tortures et des viols, toi, tes sœurs tu les sens, transpirer la terreur, derrière le mur aveugle, et respirer courage et tenir, tu le sais, tu l’entends ta sœur de peine, que bientôt on jettera dans ta cellule à tes pieds, respirer courage et tenir, tenir tête, tête nue, ses beaux cheveux brillants dégoulinants de sang, tenir tête, tu sais, chevelure de triomphe, tu sais, tu tiens, tu tiendras, peut-être…

Mes sœurs empêchées, enfermées, torturées, j’aime vos cheveux libres, laissés, et vos foulards brûlés, vous avez osé, risqué, je vous vois  flotter dans le ciel de vos rêves, libres vos cheveux, sur la balançoire lancée, vos pieds s’envolent, des pesanteurs d’ici, quittent la terre des fers et des geôles, sur la balançoire de vos rêves, un moment, juste un moment, partir, volent vos cheveux et vos jambes, envolées de plaisir, un instant, sœurs afghanes, juste un instant, sœurs d’Iran, je vous vois, à vélo, sur vos vélos vos jambes endiablées de vitesse, vous volez sur les stades, libres vos courses jambes libres, libres vos cheveux brillants.

Vous êtes fortes, je vous sais en puissance de vivre, je vous aime, habitées de vos vertus, vos vertus au ciel voilées, immémoriales vos vertus, on n’écrase pas l’humain de vos yeux éperdus, on n’enfouit pas la femme sous la cendre.

Et toi, la mendiante laissée, toi laissée, je t’implore, à genoux je descends jusqu’à toi, fille-courage, femme spoliée, mère défaite, veuve vaillante, tu fus médecin, journaliste, avocate, tu n’es plus que grandeur oubliée sous ton voile bleuté, ta burka couleur ciel, comme le ciel tombé sur ta tête flambante, toi mendiante, tu es encore grandeur ensevelie de ciel, toi réduite, toi dehors, toi errante maintenant, en terre hostile, errante, ombre glissante, ne cherchant plus que pitance de pitié, tu es encore grandeur cachée au ciel, ma sœur esseulée, sans geindre tu mendies avant d’être chassée plus loin, loin des yeux de la honte. Pour qui paies-tu cette rançon de haine, toi, la mendiante, tu es encore grandeur au ciel voilée, grandeur à nous masquée, j’aime ton front caché, tes cheveux de fierté dessous, j’aime ta fierté sans fard qui nargue le dépit, survit sous le mépris. Toi, azurée d’étrange, tu glisses invisible entre les seuils que tu ne franchis pas, tu pleures sous ton linceul de ciel, sœur esseulée, nous ne te voyons pas.

Femmes aux faces effacées, je pleure vos cheveux, je prie votre beauté, vos cheveux libres et longs comme votre résistance, devant vous je m’incline, et je plie un genou, je baisse un peu la tête, je vous implore, reines, déesses, je vous prie de vivre encore longtemps, de vivre pour vos filles. Mes sœurs humiliées, nous savons la puissance des bafouées, et vos faces effacées jamais nous n’oublierons, vos yeux levés sous le grillage, devant nos yeux effarés, vos yeux levés rencontreront les nôtres, sachez-le, sur vos faces effacées nous lirons la mémoire, et nos yeux dans vos yeux vous diront je vous aime.

Edith Payeux